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En Afrique, des inondations « inédites » aggravées par le changement climatique

Chaque année depuis douze ans, la même histoire se répète inlassablement pour Idris Egbunu : la saison des pluies fait déborder le fleuve Niger et les eaux envahissent sa maison du centre du Nigeria pendant plusieurs semaines, contraignant ce retraité de 67 ans à trouver refuge chez des voisins, avant de regagner son foyer et d’y constater les dégâts. Il faut ensuite nettoyer, fumiger pour éviter la propagation des maladies, réparer, repeindre, se réinstaller… jusqu’à la prochaine saison des pluies et la prochaine crue, presque inévitable dans la région de Lokoja, dans l’Etat central de Kogi, où se rejoignent le troisième fleuve le plus long d’Afrique et son principal affluent, la rivière Bénoué.
Au Nigeria, comme ailleurs en Afrique, le changement climatique exacerbe les variations de moussons. Les catastrophes naturelles se multiplient, mettant en péril la survie de millions d’habitants dont les habitations sont détériorées ou détruites et les cultures agricoles ravagées, compromettant la sécurité alimentaire régionale. Des pluies torrentielles et de graves inondations ont touché environ 6,9 millions de personnes en Afrique occidentale et centrale jusqu’à présent en 2024, d’après les données du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Selon les autorités et les habitants des quartiers sinistrés de Lokoja et de sa périphérie, les premières inondations ont commencé à frapper l’Etat de Kogi en 2012 et se reproduisent depuis année après année. En 2022, l’ensemble du Nigeria a connu ses pires inondations en une décennie, qui ont fait plus de 500 morts et 1,4 million de déplacés. En septembre, la ville de Maiduguri, dans le Nord-Est nigérian, a été presque à moitié recouverte par les eaux en une nuit.
Sandra Musa, conseillère de la SEMA, l’agence des secours locale, auprès du gouverneur de Kogi, estime que la situation cette année n’a pas encore atteint le niveau d’il y a deux ans, mais qu’elle est « très sévère » et « sérieusement dévastatrice ». « D’habitude, à cette période de l’année les eaux baissent, mais là, le niveau monte encore », explique-t-elle en estimant que 2 millions d’habitants de l’Etat de Kogi sont affectés par les inondations.
Fatima Bilyaminu, mère de famille et commerçante de 31 ans, ne peut accéder qu’en barque à sa maison du quartier d’Adankolo, à Lokoja. L’eau boueuse du Niger monte presque jusqu’aux fenêtres et les jacinthes d’eau se massent contre la façade délabrée. « J’ai tout perdu. Mon lit, mon fauteuil, ma garde-robe, mon matériel de cuisine, mon générateur et tout le reste », déplore celle qui n’en est pas à sa première inondation.
Mais, « sans nulle part où aller » et « sans argent pour louer une autre maison », elle n’a pas d’autre choix que de conserver sa petite bâtisse en béton au toit de tôle et de la remettre en état, inondation après inondation. Mais la structure des habitations encaisse difficilement les infiltrations d’eau répétées et de larges fissures lézardent certaines façades. D’autres commencent à s’écrouler.
L’Afrique reste très vulnérable au changement climatique, bien qu’elle ne contribue qu’à hauteur de 4 % environ aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon un rapport de l’Organisation météorologique mondiale publié en février 2023. L’année 2024 s’annonce comme la plus chaude dans le monde, après une année 2023 qui avait déjà marqué un record. « Cette année a été particulière en termes de quantité de pluies. Nous avons eu beaucoup d’événements extrêmes, ce qui est une des manifestations du changement climatique », explique Aïda Diongue-Niang, du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
Au Sahel, les précipitations ont été « inédites » par leur volume, leur intensité et leur durée, note Amadou Diakité, chef du service observations et prévisions météorologiques à Mali Météo. Au Niger, certaines régions ont enregistré « jusqu’à 200 % » d’excédent de pluies par rapport aux précédentes années, selon les Services de la météorologie nationale, et les eaux ont mis en péril le centre-ville historique d’Agadez, inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco, situé dans le Nord désertique.
Au Tchad, les pluies diluviennes ont fait depuis juillet au moins 576 morts et 1,9 million de sinistrés, soit 10,2 % de la population du pays, selon un bilan publié par OCHA. Au Cameroun, « les pluies torrentielles ont détruit plus de 56 000 maisons, inondé des dizaines de milliers d’hectares de cultures et causé la perte de milliers d’animaux », selon OCHA.
Les villes de Monrovia, au Liberia, et Conakry, en Guinée, ont vu des flots boueux envahir les rues, faisant remonter à la surface l’idée de déménager la capitale libérienne. Des quartiers entiers de Bamako, au Mali, se sont retrouvés sous des eaux drainant les déchets et le contenu des fosses septiques. Le poids des eaux a provoqué, en août, l’effondrement d’un toit du séculaire tombeau des Askia, dans la région de Gao. Dans plusieurs pays, la rentrée des classes a été reportée.
« On avait avant un cycle d’inondations décennal, qui est maintenant devenu un cycle annuel », synthétise Clair Barnes, chercheuse au centre des politiques environnementales de l’Imperial College de Londres. « Nous devons nous préparer à davantage d’inondations. Et cela ne fera qu’empirer si nous continuons à brûler des combustibles fossiles », craint-elle.
A mesure que la température mondiale grimpe, les événements extrêmes vont augmenter en fréquence et en intensité. Les experts estiment que, d’ici à 2030, jusqu’à 118 millions d’Africains très pauvres (avec des revenus inférieurs à 2 dollars par jour) seront exposés à la sécheresse, aux inondations et aux chaleurs extrêmes.
En Afrique, où la population croît fortement, « l’installation anarchique des populations sur les berges des fleuves avec comme corollaire la destruction de la végétation » augmente les risques de crues, estime Youssouf Sané, de l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie au Sénégal, qui attend que les Etats « intègrent cet aspect de changement climatique dans l’urbanisation ».
Néanmoins, « la seule façon » de réduire l’incidence de ces événements extrêmes est « de limiter les émissions de gaz à effet de serre et cela ne dépend pas de la région, cela dépend de l’humanité entière », insiste Aïda Diongue-Niang, du GIEC.
Le Monde avec AFP
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